Mathieu Merlet Briand
Mathieu Merlet Briand [ENTRETIEN]

Texte de Valérie Toubas & Daniel Guionnet
Point contemporain | 2018 | Fr

Au printemps 2017, lors de son exposition personnelle Environnement*, Mathieu Merlet Briand nous conviait à entrer dans un espace domestique, un appartement où murs et mobiliers avaient perdu toute physicalité pour devenir le résultat de recherches Google. Il nous rappelait cet envahissement du numérique, cette omniprésence et cette relation antinomique avec les éléments fondateurs de notre existence : la terre, l’eau, le feu, l’air. Un travail qui transcrit avec pertinence les nouveaux enjeux de l’ère post digitale. Un avènement qui remet en cause notre relation à la nature et à notre nature, à notre conception du monde mais aussi à nos croyances.

Quels liens y a-t-il entre tes premiers travaux portant sur le recyclage de matériaux et le traitement des donnés numériques ?

Pour mon projet de diplôme aux Arts décoratifs, j’ai reproduit des formes domestiques en agglomérant des résidus de mousse. La question du recyclage est toujours présente dans mes travaux actuels. Je retraite une masse d’informations disponible sur internet, ce big data, pour créer des formes. Mon processus de création aussi est resté identique. Seuls les outils varient car depuis je travaille à partir de programmes que j’ai moi-même élaborés.

Une façon pour toi de raccrocher la matière numérique à une certaine réalité ?

J’ai essayé de rendre tangible, compréhensible et de matérialiser cette profusion de données auxquelles on a accès sur le réseau. Car bien que tout un chacun ait une pratique d’internet, peu en comprend son véritable fonctionnement.

Il y a en effet du mystère dans tout cela…

… et même du divin ! À toutes les questions existentielles que l’on peut se poser, même les plus complexes, internet est en capacité d’apporter, par un caractère omniscient, des réponses. Je mets ce caractère divin en avant dans la pièce Our cloud, are In the #air en faisant un rapprochement entre les Cieux et le Cloud.

Je cherche à traduire ce mystère, cette dimension mystique presque à la manière d’architecte antique construisant des temples à la gloire de leurs divinité.

D’autre part, le big data par son caractère infini rejoint lui aussi l’infini divin. Il y a ce vertige d’une masse de connaissances que l’on ne peut connaître et qui nous est pourtant livrée par la petite fenêtre d’un smartphone.

Quels procédés emploies-tu pour lui donner forme ?

J’ai tout d’abord appris à coder et je me suis rapproché d’ingénieurs afin de développer mes propres outils de programmation sous forme d’algorithmes. Je condense des milliers de données collectées sur Internet à partir de mots-clés pour créer des compilations d’images qui forment des « abstractions ». En deux ans, j’ai développé un premier logiciel me permettant de mettre en forme des patterns représentant une sorte de synthèse entre tissage et pixellisation tout en ayant un rendu fragmenté, un écran étant en lui-même une technique impressionniste. Je mêle aussi à tout cela d’autres références, plus organiques, en établissant des parallèles entre les courbes temporelles et le veinage du bois.

J’essaye de faire des analogies entre des données statistiques qui sont en soi très mécaniques, et des matières organiques.

Une relation entre les éléments naturels et le numérique qui est récurrente dans tes propositions…

Mes pièces évoquent cette relation conflictuelle très forte entre nature et technologies. Nous n’avons jamais utilisé autant d’énergie et de moyens pour faire vivre Internet, sans penser à la masse de déchets technologiques. Tout un écosystème spatial ou sous-marin qui nécessite d’être renouvelé sans cesse. Pour l’exposition Environnement, j’ai effectué une recherche Google des cinq éléments primordiaux et mis en forme les résultats pour créer cinq pièces.

Une exposition qui a marqué une évolution depuis ta première production…

J’ai voulu chercher une nouvelle façon d’exploiter cette matière numérique en lien avec de nouvelles références d’histoire de l’art. Des artistes du mouvement des nouveaux réalismes comme Villeglé ou Hains jouaient sur cette accumulation d’images. Ils captaient à un instant T l’image d’une époque dans la superposition des images comme on peut le faire aujourd’hui avec une recherche Google. Sur ce même principe de superposition, j’ai développé un logiciel pour obtenir de nouvelles textures. Je fragmente les milliers d’images collectées en utilisant un outil de découpe basé sur une courbe statistique avant de les réassembler sous la forme de patchworks.

Des patchworks que tu « cristallises » sur des écrans…

La recherche formelle est pour moi tout aussi importante que celle, mathématique, qui l’a précédée. Je travaille désormais sur un nouveau matériau, une sorte de plexiglas, avec des procédés d’impression par couches successives que je thermoforme ensuite pour créer une mise volume. j’introduis un rapport un peu romantique avec cette idée de fragilité lié à l’écran. Je travaille des surfaces avec pour objectif de rejouer l’illusion de perspectives et de volumes que suggère un écran.

N’est-ce pas une façon pour toi de réinterpréter ce savoir numérique ?

Pour poursuivre cette idée de mystère que nous évoquions, je dirais qu’il est très intéressant de voir comment les croyances se sont déplacées.  Notre athéisme a laissé plus de place à ce Cloud auquel nous confions nos données, notre vie. Il exerce sur nous une forme de fascination par le biais de technologies de plus en plus avancées s’enracinant dans notre vie. Certains y vouent d’ailleurs entièrement la leur. Internet est devenu le détenteur du savoir, bien plus que les parents ou les professeurs. Il conduit à la disparition de ce tiers détenteur du savoir. Notre relation au savoir est désormais directe. Il est clairement l’avenir pour le nouveau gourou de Google, Raymond « Ray » Kurzweil, icône du transhumanisme, qui porte la croyance en une vie éternelle grâce la technologie.

Par l’insertion dans mes oeuvres de fragments de pierres, de colonnes, et la recherche de mots comme « porphyre » ou « marbre de carrare », j’introduis cette idée d’apocalypse dans lequel est pris notre monde contemporain destiné à revivre sous une nouvelle forme.

Texte Point contemporain © 2017

*Environnement, exposition du 8 avril au 12 mai 2017 au 8 Rue du Foin 75003 Paris, une invitation de Hugues Leblond, jeune collectionneur.


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