Mathieu Merlet Briand
“Mathieu Merlet Briand : Parthénons Algorithmiques”

Portrait by Samuel Belfond
Jeunes Critiques d’Art | 2018 | Fr

Mathieu Merlet Briand n’est pas un artiste digital, au sens où l’on catégorise souvent tout créateur dont la pratique sollicite peu ou prou les technologies nouvelles d’échanges et de communication. Il est un plasticien traitant du digital. Plus encore, il n’oppose pas le réel au virtuel, mais comprend celui-là comme une modalité de celui-ci. Par là-même, il évite d’imputer à sa pratique un discours normatif, historique ou purement politique, qui plombe parfois des approches s’évertuant à dénoncer le digital comme corruption irrémédiable du monde physique, ne voyant que les risques, réels certes, qu’il peut représenter aux niveaux politique, économique et environnemental. Peut-être sont-ce les mêmes qui qualifient encore notre génération de digital natives. Parce qu’il est natif de ces pratiques, justement, Mathieu Merlet Briand travaille et dévoile la porosité qui existe entre réel et virtuel, au cœur même de l’expérience quotidienne.




Première rencontre avec le travail de Mathieu Merlet Briand : virtuelle. L’entremise d’une liste, sur mon fil d’actualité Facebook, des artistes sélectionnés dans le cadre du Prix Dauphine pour l’art contemporain 2016. À l’écran, les ruines que l’on m’annonce faites de « Google Materials » sont presque invisibles, absconses. Le virtuel n’imprime pas sur le virtuel. Il me faudra faire la rencontre des œuvres, sur place — et malgré les néons blafards de cette salle d’exposition de fortune — pour prendre alors la mesure de l’entreprise que débutait l’artiste. Bientôt, il ne sera plus question d’abstraire le digital du réel, puisque son usage y sera conjugué de manière aussi fluide qu’innée. En ce sens, le projet d’exposition Non-site pensé par Mathieu Merlet Briand en compagnie de la commissaire Anaïs Lerendu, préfigure la suite de son œuvre. Tout d’abord, la ruine n’est ici rendue physique que par son expression algorithmique : le marbre n’est que la représentation de la requête « marbre » sur Google Images. L’œuvre crée ainsi cette première porosité entre physique et digital. Cette ruine est ensuite une référence historique, architecturale, ambiguë pour le spectateur : d’où viennent ces décombres qui semblent issus d’un monde que je ne connais pas encore ? La ruine est enfin, implicitement peut-être, une référence au sacré, à une autorité transcendante pour laquelle on érigeait des temples. Si les Dieux antiques se contentaient de marbre, pour quelles divinités construit-on des Parthénons algorithmiques ?



Présenté cet été, #Red-Screen Temple constitue peut-être l’aboutissement de cette réflexion sur le statut même de ce monde digital fait d’algorithmes et de données en masses innombrables. À force de ne pouvoir le comprendre, le dénombrer, le représenter, l’homme parvient aujourd’hui à une forme de divinisation du digital, phénomène surnaturel qu’il s’agirait de révérer — ou d’abhorrer — plutôt que de comprendre. C’est donc un temple de matière digitale que Mathieu Merlet Briand a choisi d’ériger à Kerkennah, en Tunisie. Vénérer, c’est accepter que l’œuvre face à soi constitue une force qu’on ne peut ni comprendre, ni infléchir. Lorsque de tels temples furent érigés ici, vingt siècles plus tôt, c’est la nature même qu’ils tentaient d’amadouer. En répétant ce geste, Mathieu Merlet Briand nous invite à repenser notre rapport au « Google God » — expression d’Ariel Kyriou — en acceptant son existence désormais autonome. Voir par-delà le mythe, c’est nous permettre de disjoindre le digital-même de l’idéologie qui lui est aujourd’hui associée. À raison, puisque ses entrepreneurs ne cachent pas leur attachement à un néolibéralisme où l’on peine à trouver la place de chacun. Et ainsi, l’œuvre de Mathieu Merlet Briand, plutôt que de dénoncer un état de fait, préfigure une ère où le digital sera pleinement neutre et décentralisé, plus poreux et fluide encore qu’aujourd’hui. 




Mathieu Merlet Briand : J’ai toujours été marqué par la Chapelle Rothko. Construite en 1971, c’est un espace de méditation spirituel détaché d’une religion particulière, c’est un lieu de contemplation, un espace total, par sa localisation, son architecture, les œuvres conçues pour et avec le bâtiment. Ici cette quête d’absolu, propre au travail de Rothko, dépasse pour moi la sphère de l’art pour atteindre une quête universelle, celle de la recherche d'une paix à la fois intérieur, et à la fois une paix entre les religions, entre les hommes. J’ai été très inspiré par la Chapelle Rothko dans le développement de mon projet de temple #Red-Screen Temple, réactualisant ainsi cette quête de pacification pour l’insérer dans les enjeux de notre société contemporaine où la technologie prend une place prépondérante et déplace nos modèles de croyances.




En 2013, Evgeny Morozov dénonçait le solutionisme technologique, une idéologie soutenue par la Silicon Valley, et déployée à une échelle mondiale par les outils concrets offerts aux internautes de Google, Facebook et consorts. Pour Morozov, le solutionisme vise à faire de la technologie une panacée en tous domaines, et la réponse, donc, à toutes les requêtes. On pourrait chercher dans l’œuvre de Mathieu Merlet Briand le souffle annonciateur de ces heures troubles, révélations des abîmes insondables du web et du triste dessein qu’elles nous réservent. L’artiste pose différemment ces enjeux, qu’il a pourtant bien compris. En renvoyant sans cesse dos à dos les éléments naturels et digitaux, imbriqués par l’action humaine de la requête, et en proposant une expérience esthétique plus que conceptuelle, le travail de Mathieu Merlet Briand tend d’abord à montrer le digital comme une nouvelle strate du réel, une interface que nos cerveaux et nos doigts accommodés n’auront bientôt plus d’intérêt à discerner du monde physique. Le digital est donc une modalité du réel, non son envers. En ce sens, il peut avoir un impact immédiat sur les écosystèmes — en premier lieu le poids écologique des serveurs de données. Mathieu Merlet Briand se refuse à dénoncer le digital même, renvoyé à sa fonction modale, et laisse à d’autres la dénonciation des pratiques qui y sont liées. Ce ne sont pas les algorithmes et les data lakes qui sont solutionistes, mais les hommes et femmes qui les paramètrent.



Paul Signac, Le pin de Bonaventure, 1893.

Samuel Belfond : Existe-t-il un artiste, voire un phénomène absolument externe à l’art, qui aujourd’hui t’inspire et contribue à orienter tes recherches futures ?

Mathieu Merlet Briand : De plus en plus je reviens à des observations banales et quotidiennes sur des phénomènes naturels que je trouve particulièrement sublimes, notamment la complexité des ombres et lumières vue à travers les arbres. Par des analogies à ces phénomènes naturels, avec ce langage que je développe, j’essaie ainsi de retranscrire ce nouvel « élément » qu’est Internet, l'expérience de cet océan d’informations, cette nouvelle nature abstraite qui nous environne et que l’on n’arrive pas à se représenter.




Lors d’une de nos rencontres, Mathieu Merlet Briand a fait une remarque qui m’a beaucoup frappé: ‘Vois-tu, cet arbre de l’autre côté de la rue ? Ses feuilles, ni tout à fait identiques, ni tout à fait différentes, composent d’infinis jeux de lumière avec le jour qui y passe. On peut représenter Internet d’une manière assez semblable.’




Mathieu Merlet Briand : Je ne suis pas un artiste digital, je ne fais pas de l’art digital, je n’aime pas vraiment ce terme, qui évoque une période artistique, débutée dans les années 60 et portée avant tout par des démonstrations techniques nouvelles. J’essaye de m’éloigner de cette case, pour la faire évoluer vers l'art contemporain, plus simplement. J’essaye de traduire notre réalité avec nos moyens actuels simplement et loin d'une démonstration technique, je cherche à utiliser ces outils — qu’ils soient informatiques, algorithmiques, autant que techniques de recherche que procédés d’impression, de matériaux — pour leurs qualités sensibles et poétiques.



Samuel Belfond : Comment est venue ta pratique de l’algorithme comme médium, et quelle a été son évolution jusqu’à aujourd’hui ?

Mathieu Merlet Briand : J’ai une formation en design produit et je m’intéressais beaucoup au recyclage et aux démarches environnementales. En cycle de recherche j’ai appris à coder, puis je me suis intéressé au tissage et au jacquard, notamment, car historiquement ces techniques sont liées à l’histoire de l’informatique.
Mon objectif ici, par des analogies à la nature, à la stratification de la pierre par exemple, par des processus de recyclage de données, était de créer une forme de matériau issu du réseau. Une sorte de recyclage des big-datas.
Pour les pièces comme Google Basalt, Google Marble, présentées au Prix Dauphine, je voulais, à l’image d'un sculpteur classique, chercher une matière première pour mes sculptures, mais qui émanerait d’Internet.
Je n’ai pas développé un mais plusieurs algorithmes, scripts, programmes, ou processus de traitement d’images, sur plusieurs supports (principalement API web, MathLab, Photoshop) avec pour chacun plusieurs variables sur lesquelles je vais jouer. Ce sont des outils que j'ai développés, non pas pour apporter une réponse, mais bien être des moyens d’obtenir ce que je recherche.
Je cherche à produire des pièces qui sont à la fois presque évidentes, spontanées, synthétiques et en même temps d’une extrême complexité visuelle et organique, par la densité d’informations qu’elles contiennent. J'ai développé cette pensée pour traduire cette nouvelle réalité, informatique et abstraite, dans laquelle nous vivons aujourd’hui.




Mathieu Merlet Briand déploie, au fil de son travail, une « esthétique de la requête ». L’expression est de Filipe Pais, elle est fort à propos. Les algorithmes qu’il développe prennent pour point de départ une recherche d’images, souvent liée à un élément naturel. Des roches donc, tout d’abord, puis l’air, l’eau, le feu. Si l’algorithme des « Google Materials » présentait un rendu presque abstrait, ou « tissé », la série #, montrée un an plus tard, donnait davantage l’impression d’un palimpseste d’images connexes. L’artiste revendique ici un rendu proche des « réalités collectives » dont parlait Jacques Villeglé : comme pour les entrelacs d’affiches déchirés de l’artiste du XXe siècle, les palimpsestes de la série # se font le reflet d’une culture globale et presque uniformisée, que la masse saturée d’itérations rend presque indéchiffrable.



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